La photo du soir
Alors, en fait, je ne suis pas sûre que ce genre de photo ait besoin qu'on mette des mots dessus...
Vous l'avez compris dans l'article précédent, nous avons été totalement séduits par l'atmosphère des bayous : silhouettes fantomatiques des hauts cyprès drapés de mousse espagnole, semblables à de vieux personnages barbus, calme de l'eau stagnante, tantôt claire comme un miroir, tantôt cachée sous une couverture végétale d'un vert presque fluo, une ambiance ouatée à peine troublée par de sporadiques grognements d'alligators ou les cris des échassiers... nous avons eu le privilège de découvrir tout cela grâce à une excursion dans un bateau à fond plat au cours de laquelle notre Capitaine n'hésitait pas à souvent couper le moteur pour laisser glisser silencieusement l'embarcation à travers les marais...
Carte du Lake Martin (Cypress Island Preserve)
Nous rejoignons le Lake Martin par la route 353 qui suit les bayous où nous apercevons régulièrement des aigrettes et des hérons blancs
sans parler des magnifiques maisons !
Nous avons rendez-vous avec Cajun Swamp Tour à 17h45 pour un départ à 18h : nous arrivons un peu en avance, ce qui nous permet de profiter des environs qui sont déjà très beaux.
Alors... en canoé dans un bayou infesté d'alligators, je ne suis pas sûre que j'aimerais... Quand on sait que 2 millions d'alligators peuplent la Louisiane (la plus grande concentration du monde), je pense que les chances de croiser au moins un spécimen ici doivent être proches du 100% ! (Bon, il parait que les 1800 du Lake Martin sont timides et qu'ils ne s'attaquent qu'à plus petit qu'eux : insectes, écrevisses, petits poissons, grenouilles... rats, petits oiseaux, tortues, castors pour les plus gros.)
Diaporama : alentours du Lac Martin, Louisiane
Notre capitaine Shawn nous accueille, nous sommes une quinzaine dans la barque à moteur. La compagnie a de bons avis et lors de la réservation, j'ai été renseignée au téléphone par une dame qui s'est gentiment efforcée de me parler en français... La promenade ne coûte que 20$ pour 2h, ce n'est pas vraiment le coup de bambou !
Ne vous moquez pas de la couleur du cou du monsieur à gauche, j'aurai exactement la même ce soir malgré mon foulard !
Nous voilà partis sur le Lake Martin, réserve naturelle dont nous allons explorer les alentours constitués de bayous, mais aussi le centre qui nous éloigne de la canopée mais nous permet de mieux voir les oiseaux en vol.
Quand je vous parlais de silhouettes spectrales...
Les bayous se distinguent des mangroves (telles que les Everglades) par le fait qu'ils sont majoritairement constitués d'eau douce. Ici, au Lake Martin, on parle même plutôt de "swamp", qui désigne une zone inondée peu profonde alimentée par les eaux de pluies ou souterraines, alors que les bayous sont des bras de rivière au faible courant.
On y trouve des chênes d'eau, des érables rouges, des gommiers, des palétuviers... mais l'arbre roi du bayou est sans conteste l'iconique cyprès chauve...
...reconnaissable au bas de son tronc en forme de pied d'éléphant.
Il survit dans l'eau grâce à son système racinaire aérien.
C'est magnifique !
Qu'il soit en groupe ou isolé au milieu du lac, le géant barbu est vraiment de toute beauté...
Diaporama : cypress et mousse espagnole
Notre promenade alterne les endroits où l'eau est claire comme un miroir
et les marécages couverts de jacinthes et lentilles d'eau,
par endroit envahis par les spartines.
On se demande comment la barque arrive à se frayer un chemin !
La biodiversité animale y est très riche : écrevisses, crevettes, catfish (barbue), lamantins, alligators... et de nombreux oiseaux comme l'aigrette, le héron, le cormoran, le pygargue à tête blanche, la buse...
Ici, un héron Bihoreau nommé en anglais "Black-crowned Night heron".
Les bayous sont généralement infestés de moustiques mais pas en cette saison : nous ne serons absolument pas piqués pendant tout notre roadtrip ! (bon, je vous parlerai des "crazy flies" plus tard...)
Je me doutais bien que je serais conquise... j'ai toujours été attirée par l'ambiance des films tournés dans ces paysages, comme l'excellent polar "Dans la brume électrique" de Bertrand Tavernier ou la non moins excellente première saison de la série "True Detective"... mais l'expérience dépasse toutes mes espérances !
D'ailleurs, tous les touristes sur le bateau s'expriment en chuchotant et cela pendant les 2h de la balade... par respect pour la quiétude des lieux, pour les animaux -que notre présence n'a pas l'air de troubler outre mesure !- mais aussi je pense parce que nous sommes tous sensibles à l'atmosphère mystique qui se dégage du lieu...
On a l'impression de se promener dans une cathédrale végétale...
Le drapé de ses statues est particulièrement réussi !
La catastrophe, c'est que les 12000 km2 de bayous se réduisent de 77 km2 chaque année... Ce chiffre est d’autant plus alarmant que la Louisiane abrite la moitié des zones humides américaines et que ces zones constituent le meilleur rempart contre les ouragans. En effet, les marécages fonctionnent comme des éponges géantes : au lieu de laisser les vagues submerger la côte soudainement, ils absorbent l’eau apportée par les cyclones, puis la libèrent progressivement, évitant ainsi l’inondation de l’intérieur des terres.
Les causes de cette réduction ? Le réchauffement climatique, bien sûr, responsable de la montée du niveau des océans, mais aussi les barrages et les canaux creusés pour l'exploitation pétrolière, canaux nécessaires pour les appareils de forages mais qui laissent entrer l'eau de mer en détruisant l'écosystème... Bref, hâtez-vous de venir voir ça !
Diaporama : Cajun Swamp Tour sur le Lake Martin
Ok, tout cela est super beau mais vous commencez à vous demander où sont les alligators... des milliers de "cocodries" (comme les appellent les cajuns) dans ce sanctuaire et on en aurait vu aucun ? En fait, il faut savoir que les alligators hibernent dès que les températures descendent, donc la meilleure période pour les voir, c'est d'avril à septembre....
...et ça tombe bien, on est en mai ! D'ailleurs, regardez, là, un joli Gali qui nous a à l’œil derrière la mousse espagnole...
A ce stade du reportage, et pour vous faire partager mon quotidien, je ne résiste pas à l'envie de vous remettre le lien vers la chanson que j'ai dans la tête en permanence en triant les photos et en rédigeant cet article... pas de raison que je sois la seule à subir !
Des gators, on en a vu des dizaines et de toutes les dimensions !
des petits
des moyens
des gros
des énormes !
des affamés à notre passage
des qui aèrent leur cerveau...
(en vrai, comme ce sont des animaux à sang froid, ils ont besoin de réguler leur chaleur corporelle et ils trouvent un équilibre en chauffant leur dos au soleil, tout en ouvrant la gueule et en laissant le bout de la queue dans l'eau pour se rafraichir... ils sont en mode AUTO, comme la clim !)
des souriants
des qui roupillent
des fainéants répandus
des qui se faufilent au loin
des qui se faufilent très près !!!
Mieux vaut ne pas laisser trainer ses mains... même pas eu le temps de dégainer l'appareil photo, faudra se contenter de celles du téléphone ! Je ne suis pas particulièrement trouillarde mais là, ça m'a fait le même effet que le requin des Universal Studios !
Autrefois, on a chassé les Gali jusqu’à les mener au bord de l’extinction, pour leur viande, leur cuir, leur huile. Depuis 1962, l'espèce est protégée et la chasse strictement réglementée, tout comme la collecte d’œufs. Chaque automne, les œufs d’alligator sont ramassés par des professionnels agréés et mis en couveuse afin de les faire éclore en sécurité. Une partie des jeunes est relâchée dans le bayou (12%), l’autre partie utilisée pour la viande et le cuir en ferme d’élevage.
L’alligator se chasse en septembre, dès que les petits sont devenus autonomes : on place un hameçon garni de poulet ou d’un morceau de poisson à quelques dizaines de centimètres de l’eau... plus on veut attraper un gros gator et plus il faut élever l’hameçon dans les airs !
Ici, au Lake Martin, il s'agit d'un sanctuaire alors ils ne sont pas vraiment chassés... ni nourris par la main de l'homme d'ailleurs, comme ça peut être le cas dans d'autres bayous de Louisiane ou en Floride, et c'est très appréciable de les voir dans ces conditions.
De toutes façons, ils n'ont pas l'air de craindre vraiment les cabanes des pêcheurs installées ça et là dans le lac peu profond...
On a pu apercevoir aussi des tortues, surnommées ici "pop corn à alligators", ce qui veut tout dire...
...et surtout beaucoup d'oiseaux car le lac est aussi une réserve ornithologique, avec plus de 200 espèces.
Donc, héron
héron
héron
et non, je sais que vous l'attendez tous bien sûr, mais je ne cèderai pas à la facilité et je ne dirai pas "petit patapon" !
Notre passage les effraie davantage que les alligators, on a droit à de très beaux envols...
Cela dit, je n'ai pas le matériel photographique adapté pour un reportage animalier...
Du coup, là, si je vous dis que ce sont des spatules rosées, il va falloir me faire confiance...
Idem pour ce cormoran !
Au milieu du lac, les arbres sont envahis d'oiseaux mais ils sont tellement hauts que mon zoom est insuffisant...
Le soleil est en train de décliner et l'eau du lac se transforme en miroir, c'est super beau...
Les ondes qui se forment au passage de notre barque créent des œuvres d'art...
Diaporama : Lake Martin réflexions
La balade se termine à 20h, on reprend la voiture pour faire le chemin qui longe le lac : une partie des abords est carrossable et l'autre uniquement accessible à pied sur des boardwalks (impossible de trouver le mot français !)
Nous nous arrêtons pour faire à pied la petite boucle du Cypress Preserve Boardwalk, rassurez-vous, entièrement sur des pontons de bois (ah ben, ça y est, j'ai trouvé la traduction !)
Cela ne nous apporte pas grand chose de plus à cette heure-ci, excepté de beaux contre-jours (à défaut de beau coucher de soleil)
et de jolis reflets dans l'eau.. tout ça dans la solitude et le calme absolu !
Retour à l'hôtel où je vais être bien occupée à essayer de réparer ma deuxième
C'était donc bien la journée à thème "écrevisse" !
Pour finir, avant l'habituel diaporama à usage familial, je ne résiste pas au plaisir de vous la remettre un peu dans la tête, au cas où vous l'auriez déjà oubliée...
Diaporama : Nous au Lake Martin