La photo du matin
En fait, je pense que vous m'en auriez voulu si je n'avais pas choisi celle-ci !
Impossible de visiter la Louisiane sans aller voir les plantations de canne à sucre qui en ont fait la richesse... avant que l'industrie pétrolière ne pointe le bout de son nez en défigurant légèrement le paysage !
Modifiant notre programme en abandonnant la visite d'Iberia et de ses jardins botaniques, nous revenons donc sur nos pas pour aller admirer les beaux domaines situés entre Baton Rouge et la Nouvelle-Orléans, stratégiquement situés le long de la Mississippi River dans le but de faciliter l'irrigation ainsi que le transport du matériel et des récoltes.
Hélas, ce changement de programme nous oblige à faire un aller-retour sur la journée, nous n'aurons donc pas le temps de visiter autant de plantations que prévu... surtout qu'avec les visites guidées, on n'est pas assurés de pouvoir entrer à l'heure à laquelle on se pointe, il faut parfois attendre la fin de la visite en cours...
La question du jour est donc : si on ne paye pas l'entrée dans une plantation (25 à 30$ à chaque fois), peut-on quand même au moins voir la maison de l'extérieur ? J'ai eu beaucoup de mal à trouver cette réponse sur internet et même dans mon groupe d'amoureux des USA...
Et bien grâce à moi, vous aurez la réponse dans cet article !
Mais d'abord, voici la deuxième photo du jour... Un avant/après où j'ai eu l'impression de singer les actrices dans les films, quand elles essayent de cacher leurs traces de coups avec du maquillage... sauf qu'en principe, elles n'y arrivent pas et moi si !
Nous reprenons l'autoroute sur pilotis jusqu'à Baton Rouge.
Un autre aperçu qu'il y a deux jours avec le soleil (mais en contre-partie, reflets sur les vitres...)
Puis nous prenons la US-61 après avoir traversé le Mississippi sur le pont Meccano (en vrai, le Sunshine Bridge) et c'est le festival...
...non pas des ohlalas mais des raffineries !
Dans celle-ci, ils fabriquent des polymères...
Très jolie skyline !
On rejoint la LA-18 qui longe le Mississippi, bien caché derrière une haute digue végétale érigée pour protéger les plantations des crues de la rivière.
Voici une première maison visible de la route : Saint-Joseph Plantation (3535 LA-18, à Vacherie) a été construite par des forçats pour une famille française en 1830. Ouverte à la visite, c'est une des dernières plantations de canne à sucre restantes dans le sud.
Un peu plus loin et en retrait, sa consœur, Felicity Plantation, où ont été tournées des scènes du film "12 Years a Slave".
On ne s'y arrête pas car, quelques kilomètres plus loin, voici notre destination prioritaire ... sachant qu'il s'agit de la plantation la plus célèbre et donc la plus fréquentée, nous avons souhaité commencer par Oak Alley (3645 LA-18, Vacherie) que nous n'avons toutefois pas l'intention de visiter : sa notoriété tient en effet surtout de sa magnifique allée de chênes, située à l'arrière de la maison, et nous espérons bien parvenir à la voir de l'extérieur grâce aux repérages que j'ai effectués sur la vision satellite de Google Maps...
Carte du domaine de Oak Alley Plantation
On est rassurés de constater qu'il est possible de se garer le long de la digue, un petit parking a même été aménagé...
Ensuite, il suffit d'une petite marche de 400m sur la River road le long des grilles de la propriété (qui possède quand même 30 hectares de jardin, 182 hectares de forêt et 243 hectares consacrés à la culture de la canne à sucre)...
...et c'est le jackpot ! 28 chênes tricentenaires qui créent une allée voutée semblable à une nef de cathédrale, avec le manoir en fond à la place de l'autel...
Je prends bien sûr 50 000 photos... parce qu'en plus, comme on est arrivés de bonne heure, personne dans l'allée ! On entraperçoit un groupe en train de visiter la maison mais pas encore de cars de touristes... et finalement le hasard a bien fait les choses qui nous a obligés à repousser cette virée prévue initialement samedi (oups !)
Donc, plan éloigné...
plan rapproché...
format portrait...
vue latérale...
du haut de la digue....
... et bien sûr avec nous devant !
Diaporama : Nous devant Oak Alley
Comme on est montés sur la digue, on peut aussi voir le Mississippi, toujours utilisé comme voie fluviale...
En poursuivant sur la River Road, nous rejoignons Laura Plantation (2247 LA-18, Vacherie) dont tous nos amis roadtrippers nous ont conseillé la visite... nous devons attendre 45mn le départ du prochain "tour" aussi nous en profitons pour pique-niquer même s'il n'est pas encore midi, le parking proposant des aménagements couverts.
En plus les alentours sont sympas.. et tout est écrit en français !
Les raisons pour privilégier cette visite ?
1/La maison principale est vraiment très belle et son architecture créole originale, toute en brique, plâtre et bois de cyprès peint avec des couleurs flashy... cela nous change des autres manoirs tout blancs de style néoclassique !
Au début des années 1800, la maison, en forme de U, était d’une superficie de 2230m² (y compris les greniers) avec une cuisine séparée de 232m². Le domaine comprenait 10 bâtiments, dont les logements des esclaves, la maison du contremaître et de sa famille, une grange, des entrepôts et une petite sucrerie.
2/La plantation de canne à sucre a été principalement gérée par des femmes à la longévité étonnante, leurs maris et frères étant soit morts, soit partis vivre en France, soit plutôt intéressés par la politique ou par l'importation des vins de Bordeaux...
... car cette plantation est avant tout française, fondé en 1805 par un certain Commandant Duparc, exilé de France pour avoir tué un ami de la famille lors d'un duel, et qui décède 3 ans après en laissant la gestion du domaine à son épouse Nanette Prudhomme, la matriarche de la dynastie Duparc/Locoul (je n'ose pas dire "la belle matriarche"...)
3/ Du coup, à l'entrée on propose aux touristes francophones un cahier rédigé en français qui traduit exactement les informations données par notre guide (y compris les "suivez-moi maintenant" ou les "que vous voyez au-dessus de moi" ! ) ; des visites en français sont même proposées 2 fois par jour.
4/La visite inclut le quartier des esclaves et fournit beaucoup d'informations sur leurs conditions de vie, les relations complexes avec les maîtres, nous parle de résistance et de marronnage, présente des actes d'achats, ne fait pas l'impasse sur les naissances métissées...
5/Si les guides sont si bien renseignés, c'est que la fameuse Laura Locoul, qui a laissé son nom à la plantation, a écrit ses mémoires en 1936 en démythifiant la vie des planteurs et des esclaves telles qu'elles ont été romancées dans des livres comme "Autant en emporte le vent"... le manuscrit que Laura avait rédigé pour ses enfants n'a été redécouvert qu'en 1993 ! Du coup, le tour d'1h30 est très vivant, avec beaucoup de photos de la dynastie sur 4 générations, et nous donne un bon aperçu du mode de vie créole avec plein d'anecdotes: par exemple, quand Élisabeth, trouvant son fils Émile trop sensible, le traitant même de "gâcheur de nègres" à cause de ses idées libérales, l'envoie dare dare à l'Académie Militaire Royale de Bordeaux où il se lit d'amitié avec toute la jeunesse avant-gardiste française et en revient encore plus libéral qu'avant ! Ou le fait que Laura est né sous Abraham Lincoln et morte à 101 ans sous John F. Kennedy...
Et ces deux là qui, "très déçus d'avoir une fille qui n'était pas parfaite puisque elle était couverte d'acné, et n'ayant pas confiance dans les médecins américains, l'ont envoyée en France pour la faire soigner par un médecin qui l'a tuée à coup d'arsenic mal dosé" ! (Je vous retranscris l'histoire exactement comme la guide nous l'a racontée !) Je l'ai échappée belle, moi dans mon adolescence !
Les extérieurs ne sont pas spectaculaires (il n'y a que 4 chênes devant la maison pour apporter la fraîcheur en canalisant la brise du fleuve... on est loin de l'ostentatoire allée d'Oak Alley)
mais on y trouve une très joli jardin dit "français"
Oui, bon, français créole, quoi !
et même une bananeraie !
Suivez-nous donc dans notre visite guidée...
...qui commence par la cave où nous accueillent les anciens propriétaires prêts à nous faire goûter les bons vins importés de Mérignac...
...ah ben non, les bouteilles sont vides ! A noter qu'à l'époque, on enterrait les jarres dans la glaise jusqu'au col afin de garder fraîcheur et humidité : un réfrigérateur naturel !
C'est aussi pour permettre à l'air frais de circuler que la maison est montée sur des pilotis en brique car la porosité du matériau permettait d'absorber l'humidité du sol. On dit que c'est une "maison de trente" car elle a été construite (par des esclaves bâtisseurs hautement qualifiés...) sur 30 poteaux, tous numérotés.
Nous montons ensuite sur la véranda qui, pour tout vous dire, est la plus belle partie de cette maison... impossible pour moi de ne choisir qu'une seule photo, aussi vous avez droit au diaporama !
Diaporama : Laura Plantation véranda
Par contre, l'intérieur n'est pas très différent de ce que nous avons pu voir au musée de Vermilionville...
On visite les chambres, dont celle des enfants
et bien sûr la "chambre de Laura", décorée avec ses photos...
Il faut savoir que Laura n'a pas longtemps habitée ici. La famille passait les mois d'hiver dans ses hôtels particuliers de la Nouvelle Orléans et, à 14 ans, Laura a réclamé d'aller en pension parce qu'elle voulait apprendre l'anglais pour devenir "une fille moderne et américaine" ! A la mort de son père, elle a refusé de s'occuper de la plantation qu'elle a vendue avant d'aller s'installer à St Louis...
Comme hier, nous retrouvons la salle-à-manger de mes beaux-parents...
avec le garde-manger attenant.
En fait, la maison a brûlé en 2004 et elle est encore en rénovation comme on peut le voir sur la façade arrière.
Il ne reste plus rien de l'ancienne superbe cuisine...
Quant à la Maison dite "de Reprise" (c'était le logement particulier de la belle Nanette qui avait pris sa retraite mais ne voulait pas trop s'éloigner afin de pouvoir surveiller les agissements de ses enfants... et puis, pas question d'aller vivre à la Nouvelle-Orléans, ville pleine "d’Américains maladroits et socialement inférieurs" !) , elle a perdu toute sa splendeur initiale...
...comme on peut le voir sur cette photo montrée par notre guide.
Il reste aujourd'hui 4 cases d'esclaves (c'est ainsi qu'est traduit sur place le mot "cabin"...) sur les 60 d'avant la guerre de Sécession. Elles proposent une exposition qui retrace la vie des travailleurs asservis. A noter qu'à Laura, la majorité des esclaves ont choisi de rester dans la plantation après leur affranchissement et d'y travailler comme ouvriers : leurs descendants ont habité ici jusqu'en 1977 !
Chaque case hébergeait une famille (voire parfois deux) qui cultivait un petit potager et élevait des poules ou des porcs pour son propre usage.
Les extérieurs de l'arrière de la maison de maître sont très beaux.
J'en profite pour vous présenter l'indigo qui comme son nom ne l'indique pas, produit des fleurs... roses !
Voici un extrait des actes d'achat des premiers esclaves dont le prix variait en fonction de l'âge, de la condition physique, des qualités professionnelles et personnelles... ces preuves de l'asservissement humain font froid dans le dos... (remarque : les valeurs ont été indiquées en dollars d'aujourd'hui)
En 1850, le domaine a eu jusqu'à 190 esclaves en tout, ils représentaient 80% de la population de la plantation. Les esclaves de la maison partageaient l'intimité de leurs maîtres dont ils connaissaient souvent tous les secrets... Laura avait d'ailleurs développé une relation très forte avec sa domestique Anna qu'elle avait invitée à son mariage en l'inscrivant sur la liste des membres de la famille...
Elle n'était d'ailleurs pas la seule de la dynastie à avoir eu des relations particulières... son grand tonton Flagy s'est en effet appliqué à engendrer une double et prolifique descendance métissée... (dont certains ont vécu dans la Maison de Reprise)
Fin de la visite avec l'incontournable gift shop... ah ben oui, collectors ! Avec Blanchette qui se paume dans les bayous et qui, je suppose, va faire le ménage de la maison des 7 petits Cajuns avec l'aide des tortues et des alligators... Il y avait aussi "Petite Rouge", qui se rend en pirogue chez sa grand-mère et rencontre le grand méchant alligator... je regrette encore de ne pas les avoir achetés !
A suivre : San Francisco, Evergreen et Houmas Plantations