Sillonnant les États du Sud, l'Highway 61, à l'instar de la route 66, fait partie des routes historiques des USA. Dans le Delta du Mississipi (zone en forme de triangle située dans l’État éponyme), le Mississipi Blues Trail est jalonné de plus de 140 "Markers", panneaux didactiques en lien avec l'histoire de la musique et qui honorent tous les artistes originaires du Delta, des plus célèbres comme Charley Patton, Robert Johnson, Muddy Waters, B.B. King ou même Elvis... à d'autres moins connus du grand public.
J'aborde cette partie du road-trip avec des yeux et des oreilles de néophyte : élevée à coup de Beatles, Pink Floyd, Bowie, Mozart et Beethoven, amatrice de pop et de musique classique, adolescente dans les années 70... le Blues, la Soul et le Jazz ne font pas vraiment partie de mon histoire personnelle. Bien sûr, je connais quelques grands noms comme B.B. King, Ella Fitzgerald, Aretha Franklin, Otis Redding, les Blues Brothers ou Plastic Bertrand... (c'est pour voir si vous suivez !), mais je serais bien incapable d'entonner une de leur chanson ! (par contre, je peux vous chanter "Le Duo des fleurs" de l'opéra Lakmé ou "Gali l'Alligator"... mais vous n'aimeriez pas !)
Le blues est né vers la fin du 19e siècle, il évoquait initialement les dures conditions de vie des afro-américains employés dans les plantations de canne à sucre, de coton ou de riz. Bien que l'esclavagisme ait été aboli en 1865 aux USA, les afro-américains subissaient encore une forte discrimination d’où la naissance de ce style initialement chanté a capella dans ce que l’on appelle aujourd’hui des work-songs dont voici 2 exemples ci dessous :
Un extrait de la série "Racines"
Un extrait du film O'Brothers
Ces chants de travail sont le versant profane des chants Gospel, spirituals nés de la rencontre entre la culture musicale africaine des esclaves et les chants religieux de leurs propriétaires. Le rythme du chant s'associait aux gestes répétitif du labeur, ce qui entrainera le mouvement rythmique du balancement que l'on nommera plus tard le "swing" ou le "groove"... Il faudra attendre le milieu des années 1950 pour parler de "rythm'n'blues", forme plus évoluée où se sont joints au chant divers instruments : orgue, guitares, cuivres, batterie...
Pour vous parler de musique, le spécialiste dans notre couple, c'est Norbert (ici, devant la fresque de B.B. King ), lui-même musicien... mais voilà, ce n'est pas lui qui rédige le blog donc il faudra vous contenter de mon regard moins connaisseur !
Au gré des musées visités, j'ai quand même appris 2 ou 3 choses :
- Le mot "blues" vient de l'expression "to get the blue devils" qu'on peut traduire par "avoir le cafard".
- Le blues est un rythme ternaire : en anglais, ternaire peut se dire "shuffle", ce qui signifie "traîner des pieds". Une image qui colle tout à fait à ce style musical !
- Le blues se distingue aussi par une forte utilisation des accords 7, ce qui l'a amené à développer sa propre harmonie (un accord 7 est un accord majeur sur lequel on rajoute une note : la 7e mineure). A cette époque, rester sur des accords de 7 était plutôt mal vu : c’est un accord plutôt dissonant mais les premiers bluesmen ont transgressé cette règle, apportant un changement radical.
De nos jours, les accords 7 sont fréquemment usités ; la musique pop-rock contemporaine doit tout au blues et à ses cousins ou dérivés : jazz à la Nouvelle-Orléans, soul et rock'n'roll à Memphis et même la country à Nashville qui n'est en fait qu'un mélange de folklore britannique et d'accents de rythm'n'blues né dans les work-songs des cow-boys blancs...
Aussi, à tout ceux pour qui un tel voyage ne serait pas un pèlerinage sur la terre de leurs idoles, je précise ceci : visiter tous ces musées consacrés à la musique-phare des débuts du 20e siècle n'apporte pas que le plaisir du mélomane... c'est également une passionnante façon d'appréhender l'histoire des afro-américains et de leur émancipation par la musique... car la reconnaissance du talent de la population noire a participé grandement au combat contre l'obscurantisme et le racisme, et c'est ce long chemin difficile (et pas encore terminé...) que racontent musées et Historics Markers consacrés à la musique sur la route du Blues... à tel point que lorsque nous visiterons le Musée des Droits Civiques à Atlanta, nous aurons l'impression de déjà tout savoir !