La photo de l'aprem
Et on continue notre tournée des lieux de légende...
Vous pensiez peut-être qu'après avoir passé 4h dans Graceland, on serait lassés des musées pour la journée ? Que nenni ! A peine 10mn de voiture et nous voici dans Soulsville pour visiter le Stax Museum, temple de la Soul Music. Un petit tour que je vous propose en musique, à l'image de notre propre visite, puisque nous sommes baignés des sons du Rythm'n'Blues crachés par des haut-parleurs extérieurs dès le parking du musée !
Une vidéo qui met bien dans l'ambiance de la visite du musée... avec Sam § Dave, Otis Redding, Carla Thomas et Wilson Pickett.
Nous traversons Soulsville, ancien ghetto noir de Memphis qui n'est toujours pas un quartier vraiment reluisant aujourd'hui...
Heureusement, la Soulsville Foundation fait un gros travail de réhabilitation du quartier, c'est elle qui est à l'origine de la création du musée (en 2003) mais aussi de la Stax Music Academy et de la Soulsville Charter school, école préparatoire musicale gratuite qui accueille 700 lycéens et affiche 100% de réussite aux examens ! Tous les bénéfices du musée reviennent d'ailleurs à cette association.
A notre arrivée sur le parking (où on n'est pas très nombreux), on a l'impression d'être toujours à Graceland dans le Hall d'exposition des voitures d'Elvis ! On se prend sur la tête une brusque averse mais, heureusement, le soleil sera revenu à notre sortie du musée... bien organisé ce voyage !
Le Stax Museum of American Soul Music (926 East McLemore Avenue) est donc situé à l'emplacement de l'ancien siège de Stax Records. Il est consacré à l'histoire du label discographique et de ses artistes phares.
Stax Record est une maison de disques qui a fonctionné de 1958 à 1975, date de son dépôt de bilan pour cause de mauvaise gestion et de poursuites en justice (par des créanciers et des accusations de pots-de-vin envers des stations de radio...)
D'abord nommé Satellite Records, le label a ensuite pris le nom de Stax avec la jonction des 2 premières lettres de ses fondateurs, Jim Steward, jeune blanc amateur de country music, et sa soeur Estelle Axton.
Ci-dessus, les deux logos utilisés par le label, à gauche le "Stax o' wax" (1962-1968) et à droite le "Snappin' fingers" (1968-1975) qui a été adopté après la mort de Martin Luther King..
A partir de 1960, Estelle et Jim louent pour 100$ par mois une vieille salle de spectacles à Memphis, l'ancien Capitol Theater, transformée en église puis abandonnée... Leur équipe la transforme en studio avec des équipements rudimentaires et des aménagements de fortune.
La porte du studio reste toujours ouverte à qui veut apporter quelque chose. C'est ainsi que la musique va rendre possible ce mélange racial que la société refuse.
Estelle a eu l'excellente idée de transformer le stand de vente de bonbons et pop corns en un magasin de disques : le Records Satellite Shop. Pour faire la promotion de leur studio, elle sort les enceintes sur le trottoir. Il ne faut pas longtemps pour que le lieu devienne le QG de gamins qui viennent écouter et danser sur les nouveautés. Mais surtout un aimant qui va attirer les jeunes musiciens, noirs et blancs, parmi les plus doués de la ville et de leur génération.
Car malgré sa courte existence, Stax -puis sa filiale Volt- est devenu, au même titre que Motown à Detroit, un des labels les plus populaires de tous les temps. Dans les années de sa splendeur, Stax accompagna quantités d’artistes comme Otis Redding, Isaac Hayes, Booker T. & the MGs, Rufus et Carla Thomas, Johnnie Taylor, Sam & Dave, Albert King, les Staple Singers... intégrant de manière indélébile la soul et le rythm’n’blues dans le patrimoine musical de Memphis, le faisant connaître à toute la planète, en produisant plus de 800 singles et près de 300 albums dans les années 1960-1970, et faisant fi de la ségrégation alors en vigueur, blancs et noirs collaborant ensemble au studio.
En 15 ans, Stax a placé plus de 167 chansons à succès dans le Top 100 des charts pop, et 243 tubes dans le Top 100 des charts R&B.
Toute l'histoire du label nous est ainsi racontée dans un film primé qui précède la visite du musée.
Ensuite, comme dans les autres musées visités sur cette route du blues, ce sera des expositions d'instruments, de costumes de scène, de disques, d'objets et souvenirs personnels des stars, de photos, d'affiches... tout ça accompagné de vidéos avec des écrans partout et des stations d'écoute pour se faire plaisir en musique.
Mais ce que j'ai trouvé le plus intéressant, c'est que le musée s'attache d'abord à mettre à l'honneur l'influence du Gospel sur la soul, avec une véritable église de 1906 amenée du Delta du Mississippi et re-assemblée ici...
et surtout à ancrer l'histoire du label dans le contexte d'une époque mouvementée de combat pour les droits civiques en révélant que Stax va non seulement lancer la soul music dans les années 60 mais aussi devenir l'un des fers de lance du militantisme afro-américain. Par ses artistes politiquement engagés bien sûr...
mais aussi parce que la maison va accueillir en temps que groupe en résidence, un quatuor instrumental mixte, Booker T & the MGs, deux blancs et deux noirs qui collaboraient musicalement alors qu’ils ne pouvaient même pas aller ensemble au restaurant ! Avec le renfort des cuivres des Memphis Horns, ils vont accompagner l'enregistrement de la plupart des chanteurs stars du studio.
Il faut dire que, comme nous le révèlent ces documents, c'était une époque où il y avaient une compagnie d'ambulances pour Blancs et une autre pour Noirs, et des heures d'ouverture des lieux publics ou récréatifs réservées au Noirs... Le révérend Dwight raconte même qu'il a vu mourir sur le trottoir une femme blanche alors qu'une ambulance pour Noirs était sur place mais ne pouvait pas la prendre...
Le musée met également à l'honneur plusieurs figures légendaires de la soul et du R§B, même s'ils avaient signé avec d'autres labels, comme ici Tina et Ike Turner, robe à sequins, blouson pailletté, guitare Fender Telecaster...
Aretha Franklin, The Queen Of Soul, née dans ce quartier de Memphis ou Mary Wells, popularisée en Europe grâce au titre "My Guy".
Les labels de disques du Chicago Blues, avec les grands Ray Charles, James Brown ou Sam Cooke
Et bien sûr, ceux qui ont fait l'histoire de Stax Records... histoire que j'ai choisi de vous raconter à l'aide de 5 titres-clés qui ont fait la légende de ce label...
1/Rufus Thomas & Carla Thomas : « Cause I Love You » - 1960
A l’époque, Rufus Thomas est une petite star de Memphis - à la fois musicien, chanteur, DJ, comique et danseur - qui se définit comme « le plus vieil adolescent du monde » et considéré comme un des fondateurs du rythm & blues moderne. Le patron de Stax, malin, se dit qu’enregistrer un disque avec Rufus sera le prétexte pour que ce dernier le diffuse dans son émission de radio et fasse connaître le label. Et il voit juste ! Enregistré avec la fille de Rufus, « Cause I Love You » est le premier titre vocal signé Stax à connaître un énorme succès. Au point que l’imposant label Atlantic Records va soudainement s’intéresser à Stax et le distribuer à travers toute l’Amérique, lui offrant un rayonnement précieux.
2/Mar-Keys : « Last Night » - 1961
Ce sont le guitariste Chips Moman et le claviériste Jerry Lee "Smoochy" Smith qui jettent les bases du morceau en improvisant pendant une pause lors d'un concert où ils jouaient ensemble. Chips Moman développe le morceau dans les studios du label Satellite avec plusieurs musiciens des Mar-Keys qui apportent leurs contributions à la composition. L'enregistrement se fait en plusieurs fois avec différents musiciens suivant les sessions.
A noter que les Mar-Keys étaient un groupe blanc qui jouait du Rythm'n'Blues, ce qui n'était pas forcément bien vu à l'époque...
C'est le joueur de saxophone baryton Floyd Newman (le plus proche du micro !) qui prononce les mots "Oh Yeah", seul vocal du morceau !
3/Booker T & The MG’s : « Green Onions » - 1962
Booker T. Jones, jeune noir de 19 ans habitué de la boutique de disques attenante au studio, est un prodige de la musique qui ose un jour passer la porte de chez Stax pour proposer son aide. Bassiste de formation, il sait jouer de tout, de la guitare au trombone, mais c’est son aisance aux claviers qui va le rendre célèbre. Entouré d’un autre musicien noir, Al Jackson à la batterie, et deux blancs, Steve Crooper à la guitare et Donald Dunn à la basse, ils décident, en attendant un chanteur qu’ils doivent enregistrer, de jammer. En sort un instrumental incroyable porté par le premier groupe vraiment mixte de l’histoire de la musique américaine qui résume pile-poil la philosophie de Stax : s’entourer des meilleurs musiciens sans considération de la couleur de peau.
4/Sam & Dave : « Hold On, I’m Coming » - 1966
Signé sur Atlantic Records, ce jeune duo prometteur voit d’un très mauvais œil le désir de leur maison de disque de les envoyer enregistrer à Memphis dans les studios de Stax, eux qui rêvaient d’un studio dernier cri à New York.
Mais avec Isaac Hayes au piano et David (Dave) Border aux paroles auxquels se rajoutent les musiciens réguliers du studio, ce grand mix va donner des merveilles. L’histoire raconte que Dave serait parti aux toilettes au moment où Isaac tenait aux claviers un "groove" qu’il ne voulait pas lâcher, et qu'il lui aurait crier de revenir vite derrière le micro. Ce à quoi Dave, revenant précipitamment avec les pantalons sur les genoux, aurait répondu « Hold on, I’m coming » qui deviendra le refrain d’un tube monstrueux et lancera la gloire de Sam & Dave, surnommés "The Double Dynamite".
5/Otis Redding : « The Dock Of The Bay » - 1968
Arrivé par hasard aux studios Stax, accompagnant comme chauffeur Johnny Jenkins et les Pinetoppers venus de Géorgie enregistrer un instrumental dans la foulée du succès de «Green Onions», Otis, à peine 21 ans, supplie les ingénieurs du son de lui laisser sa chance et d’enregistrer un morceau. C’est le choc : sa voix inimitable et magique, son sens du rythme insaisissable laisse tout le monde bouche bée. Mais le destin n’est pas de cet avis, et Otis, une des plus belles voix de la soul music de tous les temps, meurt à 27 ans dans un accident d’avion, marquant une immense perte pour Stax et le monde de la musique. Sorti quelques temps après sa mort, « The Dock Of The Bay » est son plus gros succès à ce jour.
6/ Isaac Hayes : « Walk On By » - 1969
Début 1968, Stax est au cœur d'émeutes qui transforment Memphis en poudrière, après la mort accidentelle de deux éboueurs noirs qui déclenche de vives protestations. Le 4 avril, l'assassinat de Martin Luther King, qui s’est rendu à Memphis pour soutenir le mouvement de contestation, met la ville à feu et à sang. Déjà dévasté par la disparition brutale d’Otis Redding, Stax transforme son logo en main noire qui claque des doigts, signe de son engagement politique. Isaac Hayes, perturbé, reclus dans le silence pendant un an, enregistre « Hot Butter Soul » son premier album solo, avec l’incroyable « Walk On By », titre ovni pour l’époque, long de 17 minutes, qui marquera l’ADN de la soul music à tout jamais.
Le groupe The Bar-Kays a accompagné Isaac sur son disque.
La suite du musée nous présente sa collection de 800 disques 45 tours et de 300 albums 33 tours.
Du sol au plafond, une papier peint très psychédélique !
Avec des stations d'écoute diffusant 300 tubes Stax.
Puis nous découvrons la reconstitution à l'identique de la "Control Room", régie située à l'emplacement de l'ancienne scène du théâtre...
...avec une console d'enregistrement utilisée par tous les artistes listées ci-dessus.
La bibliothèque des bandes magnétiques originales qui avaient été saisies par la justice au moment de la faillite... Jim Steward perdra d'ailleurs pratiquement tout ce qu'il aura gagné dans l'entreprise !
Et le studio A, qui avait conservé la pente de la salle de spectacle, ce qui contribuait à amortir le son, une façon d'essayer de contrôler l'acoustique de la pièce à peu de frais qui deviendrait finalement une caractéristique du son Stax.
Orgue, guitares, cuivres et batterie, instruments liés à la musique Soul, sont exposés dans cette salle. Ici, l'orgue Hammond de Booker T. Jones que l'on entend sur "Green Onion".
La batterie de Al jackson Jr, un des membres fondateurs du groupe Booker T. & the M.G.'s, surnommé « le métronome humain » dont le jeu, basé notamment sur le contretemps, a contribué à définir le son de la soul de Memphis. Après Stax, il rejoint le groupe du chanteur "Al Green" pour lequel il co-écrit la chanson "Let's Stay Together", avant de mourir assassiné en 1975.
Toutes deux signées, la guitare de Steve Crooper et la basse de Duck Dunn, deux musiciens des MGs qui ont rejoint les Blues Brothers après la faillite de Stax.
La trompette de Wayne Jackson (qui fut guide privé dans la musée) et le saxophone baryton de Floyd Newman, musiciens des Bar Kays et des Memphis Horns.
On termine la visite par un hommage à Isaac Hayes qui a permis à Stax de remonter la pente après la mort de son artiste phare, Otis Redding, en 1967.
Isaac Hayes est un musicien surdoué qui, après la soul du sud, invente la soul symphonique, puis la bande-son urbaine de la "Blaxploitation" comme dans le film "Shaft" (pour laquelle il a reçu cet Oscar) et, enfin, la future imagerie du hip-hop - crâne chauve et corps musclé couvert d’or. Avec lui et ses camarades, les chaînes des esclaves sont devenues celles d’une libération symbolique...
Admirez les talons !
Clou du spectacle, la Cadillac Eldorado bleu paon d'Isaac, qui tourne sur elle-même au son du thème de Shaft... Achetée pour 26 000 $ (environ 160 000 $ actuels !) dans le cadre de son accord renégocié avec Stax en 1972, luxueusement équipée d'un mini-bar et d'une télé, avec des garnitures extérieures plaquées or 24 carats et de la fourrure blanche en guise de tapis de sol... très pratique pour les balades à la campagne !
Diaporama : Cadillac Eldorado d'Isaac Hayes
Bref une visite passionnante baignée dans le fameux "son Stax" qu'on nomme aussi « Southern Soul », « Deep Soul », ou encore « Memphis Sound »... un mix de Blues et de Gospel, de Rythm'n'Blues avec une touche de country, "une musique brute qui sortait des tripes de nos églises au fin fond du Mississippi" comme le dira Al Bell, co-propriétaire de Stax dans les dernières années.
Booker T § the MGs étaient des fans absolus des Beatles. Il sont allés jusqu'à enregistrer une version instrumentale d'Abbey Road qu'ils ont intitulée "Mc Lemore Avenue" en mimant la pochette initiale! Les artistes Stax ont même sorti en 2008 une compilation de reprises "Stax Does The Beatles". Les Beatles étaient eux-mêmes fins connaisseurs des Stax Studios qu'ils avaient pensé louer pour leur album Revolver... mais cela ne se fit jamais.
Eddy Mitchell a rencontré Otis Redding à Paris en 1967 peu avant sa mort. Son titre "Otis" est une reprise d'une chanson de Redding "Hard to handle".
Ils avaient des projets ensemble dont un disque avec, sur la pochette, Otis tenant un tigre en laisse...
Otis devait produire la séance d'Eddy à Memphis, c'était un accord entre Barclay et Stax, puisque Barclay distribuait Stax en France. Mais cela n'a pas eu lieu parce qu'Otis était en tournée européenne quand Eddy est allé enregistrer aux USA...
Dick Rivers était un grand fan d'Elvis, il a même choisi son pseudo d'après le personnage que jouait Elvis dans son film "Loving You".
Il a aussi rendu hommage à Otis Redding en enregistrant le titre "M. Pitiful".
Il raconte : "J'ai enregistré à Memphis avec deux musiciens disparus ensuite dans l'accident avec lui. Une séance incroyable, un souvenir inoubliable. Je réalisai un vieux rêve. Mais je ne recommencerai pas : les musiciens de Stax sont de formidables artistes de R'n'B mais ils ne font que ça. Ils ne savent pas lire la musique. Il m'a fallu soixante‑neuf heures pour enregistrer cinq titres !"
Oups !
BONUS FAMILIAL
Diaporama : Lui au Stax Museum